Le couteau, cet instrument (trop) banal…
Le couteau, cet instrument (trop) banal…
Mardi 10 juin 2025 dans la matinée, un adolescent de 14 ans a tué à coups de couteau une surveillante de son établissement scolaire à Nogent (Haute-Marne), alors même que le personnel, appuyé par des gendarmes, procédait à une opération de fouille des sacs des élèves, conformément aux fouilles aléatoires annoncées en février dernier par la ministre de l’Education nationale Elisabeth Borne.
Ce meurtre dramatique, commis par un collégien de 3eme, a naturellement choqué la France entière, d’autant plus qu’il intervient quelques semaines après l’assassinant d’une lycéenne tuée de 57 coups de couteau dans un établissement privé de Nantes (Loire-Atlantique) le 24 avril, par un de ses camarades qui a blessé trois autres élèves.
Une fois de plus, ce meurtre a mis en lumière la difficulté d’un contrôle effectif à l’entrée des collèges et lycées, et le besoin d’encadrement d’adultes susceptibles de détecter les « signaux faibles » d’une potentielle catastrophe, au premier rang desquels les psychologues, médecins, et infirmières scolaires.
Surtout, ce nouveau drame pose une fois encore la question de la sécurité autour et dans les établissements scolaires, et de la manière de prévenir la violence quelle qu’elle soit.
S’appuyer sur le terrain
Plutôt que de commander un énième rapport (qui nous permet, certes, à nous journalistes de nous constituer une bonne base de données sur le sujet dans le domaine « état des lieux », mais est-ce vraiment l’objectif ?), ne faudrait-il pas, avant tout, interroger en la matière les professionnels du terrain, et, précisément dans le domaine de la sécurité, les policiers et gendarmes de la sécurité publique, les services d’enquête de la police judiciaire travaillant régulièrement avec les familles et les jeunes comme les Brigades de protection de la famille (ex Brigades des mineurs), les services de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) etc. ?
Et voici quelques pistes :
-Confier l’organisation et la mise en œuvre des opérations aléatoires de fouille des sacs à l’entrée des établissement scolaires aux seules forces de l’ordre, pas aux professionnels de l’éducation dont ce n’est pas le métier.
-Annoncer, parfois, les fouilles de sacs, mesure permettant de rappeler qu’elles peuvent arriver n’importe quand, et d’insécuriser les élèves ayant des velléités d’apporter une arme blanche à l’école.
-Faire venir des équipes de policiers et de gendarmes dans les collèges et lycées pour des cours collectifs de formation, de sensibilisation, et de rappel à la législation sur les armes, spécifiquement sur celle des armes blanches et de catégorie D (couteaux, bombes aérosol lacrymogène etc.), comme cela se fait pour l’accès à internet et aux réseaux sociaux.
-Dans les grandes-surfaces, généraliser le blocage des caisses automatiques lors de l’achat d’un couteau (comme cela se fait déjà pour l’alcool puisque le scan d’une boisson alcoolisée bloque momentanément la caisse qui ne peut être débloquée que par un employé du magasin après s’être assuré que le client est majeur).
Au passage, pour rappel, il est DÉJÀ interdit de vendre des armes -y compris des couteaux- à des mineurs, un couteau entrant dans la définition des armes blanches (1) . Quant aux personnes majeures, si la loi leur permet d’acheter et de posséder une arme de catégorie D, leur port et leur transport sont interdits (2) « sauf motif légitime » dont ladite légitimité sera appréciée par le fonctionnaire qui procède au contrôle et tombe dessus. (Un policier pourra ainsi, par exemple, considérer comme légitime le transport, par un cuisinier ou un élève d’une école hôtelière, de couteaux dûment rangés dans leur mallette pour se rendre sur le lieu de travail ou de cours). Sans motif légitime, le transport d’une arme de catégorie D peut aller jusqu’à 15.000 euros d’amende et un an de prison (3) . Il est par ailleurs interdit de pénétrer dans un établissement scolaire avec une arme, infraction pouvant aller jusqu’à 3 ans de prison et 45.000 euros d’amende (4).
-Faire un état des lieux du dispositif « référent police-gendarmerie-éducation nationale », qui permet de nommer un membre des forces de l’ordre comme « référent » pour les établissements scolaires lancé en 2009 (5), (sans forcément aller jusqu’à les installer en permanence dans un collège ou un lycée), et des « protocoles pour le traitement de la violence en milieu scolaire », afin de les relancer, les généraliser, et les adapter comme cela a été fait en Gironde en janvier 2025 (6).
-Impliquer les associations et délégués de parents d’élèves dans les actions de sensibilisation
-Etudier la faisabilité d’une installation d’un portique de sécurité à l’entrée des établissements scolaires, au cas par cas en fonction de la situation locale.
Communiquer pour prévenir
S’appuyer sur le terrain consiste donc à prendre en compte des idées concrètes, mais également à valoriser, et généraliser le cas échéant, les initiatives locales qui fonctionnent.
Ainsi, fin 2020, Patrick Visser-Bourdon, alors commissaire central adjoint de police nationale à Evry-Corbeil (Essonne) (7) a-t-il pris l’initiative, en s’appuyant sur plusieurs années d’expérience -et de bons rapports développés avec les élus locaux, les associations de quartiers, les directions d’établissements scolaires etc.- de mettre en place une boucle WhatsApp sécurisée avec ses interlocuteurs réguliers, le « Dispositif local d’alerte aux rixes (DLAP) ». On est ici dans la prévention pure, avec de la confiance et des échanges réguliers sur les « signaux faibles » : des claques à répétitions derrière la nuque à l’encontre d’un élève par d’autres jeunes d’un quartier différent, des visites régulières devant un établissement scolaire de jeunes qui n’en sont pas membres, attroupements de jeunes devant un lycée dont ils ne figurent pas au rang des effectifs… Un doute sérieux permettait ainsi d’envoyer une patrouille sur place, de procéder à un contrôle, une fouille.
Le dispositif a été jugé tellement intéressant qu’il a été étendu par la préfecture de l’Essonne, au travers de l’application Tchap (8) .
Mais il faut se donner les moyens -notamment humains- de mettre tout cela en œuvre. Et peut-être aussi, afin d’éviter la multiplication des drames et des violences, d’appliquer les textes de loi déjà existants, et de les améliorer éventuellement, avant d’en voter un nouveau à chaque émotion légitime du pays.
Extrait à revoir France Info TV: 10 juin 2025
1 Article R311-1 du code de la sécurité intérieure
2 Article L315-1 du code de la sécurité intérieure
3 Armes de catégorie D (acquisition et détention libres)
4 Code pénal
5 Policier référent
6 Signature du protocole pour le traitement de la violence en milieu scolaire dans les établissements de la Gironde
7 « Une vie de flic, un commissaire de combat » (éditions Fayard)
8 Les discussions Tchap